Les infractions d’imprudence ou fautes non intentionnelles

Les fautes d’imprudence (non intentionnelleS)

En droit pénal, au contraire du droit civil, il n’existe pas une et une seule faute d’imprudence : le droit pénal reconnaît des fautes d’imprudence de gravités différentes.

Le domaine d’intervention du droit pénal dépend de la gravité de l’imprudence :

– une faute d’imprudence légère engage toujours la responsabilité civile, mais pas forcément la responsabilité pénale (depuis la loi du 10 juillet 2000) ;

– une faute d’imprudence qualifiée engage toujours la responsabilité civile et la responsabilité pénale.

Cette loi distingue donc deux sortes de fautes d’imprudence selon leur gravité. Il y a une plus grande place pour la responsabilité pénale en cas d’imprudence qualifiée, qu’en cas d’imprudence simple.

a)La faute normale d’imprudence : l’imprudence simple

La faute d’imprudence simple est définie de la même façon dans les textes sur les atteintes involontaires à la vie (articles 221-6 et ss Code Civil —> homicide par imprudence) et à l’intégrité physique (articles 221-10 et ss Code Civil). Elle a un caractère très général. Les termes employés sont les mêmes qu’en droit civil. Cette faute peut prendre toutes les formes de l’imprudence : la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence, le manquement à l’obligation de sécurité ou de prudence imposée par une loi ou un règlement.

1.L’appréciation in concreto : la loi du 13 mai 1996

Précision d’interprétation. A la demande de certains élus locaux, la loi du 13 mai 1996 prévoit que l’imprudence doit être appréciée in concreto, en fonction du pouvoir et des moyens effectifs dont dispose la personne à laquelle elle est reprochée. La loi prévoit ainsi une exonération lorsque les moyens ou le pouvoir sont insuffisants : il n’y a pas d’infraction pénale si l’auteur de l’imprudence « a accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

En dépit de cette précision, la faute pénale d’imprudence est restée très générale, de sorte que pendant longtemps a été maintenu le principe de l’identité de la faute pénale et la faute civile d’imprudence. Elles étaient appréciées de la même façon. Concrètement, cela signifiait qu’en cas de relaxe au pénal, les victimes ne pouvaient pas obtenir des Dommages et Intérêts fondés sur une faute au civile, c’est-à-dire fondés sur les articles 1382 ou 1383 Code Civil. L’appréciation in concreto concerne essentiellement un type d’imprudence : le manquement à une obligation réglementaire.

2.Le rapport de causalité directe : la loi du 10 juillet 2000

Toutefois, même après la loi du 13 mai 1996, la faute d’imprudence était restée très générale : le principe d’identité de la faute pénale et de la faute civile ayant subsisté, celles-ci étaient appréciées de la même façon.

Ainsi, si le juge pénal décidait qu’il n’y avait pas eu de faute d’imprudence, le juge civil ne pouvait pas trouver de faute civile et ne pouvait donc pas accorder de DI sur le fondement de l’article 1383 Code Civil. Désormais, il peut donc y avoir relaxe au pénal, et néanmoins condamnation au civil. La relaxe signifie qu’on n’est pas dans les circonstances où l’imprudence simple n’est pas punissable pénalement même s’il y a responsabilité civile. La responsabilité civile peut être engagée même si la responsabilité n’est pas engagée.

La réforme du 10 juillet 2000a fait disparaître cette conséquence de la similitude des imprudences simples, pénale et civile :

  • -L’imprudence simple n’est aujourd’hui constitutive d’une faute pénale que lorsqu’elle est en rapport de causalité direct avec le résultat c’est-à-dire avec les blessures et l’homicide. Dans ce cas là, un lien de causalité direct avec ce résultat —> il y a lieu à responsabilité pénale.
  • -Inversement, lorsque l’imprudence simple a seulement contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, elle n’est pas sanctionnée pénalement en ce qui concerne les personnes physiques.

La loi du 10 juillet 2000 étant une loi de dépénalisation, elle est d’application immédiate.

Exemples :

Arrêt du 25 septembre 2001Ch.Crim.. Deux voitures se croisent, un sanglier traverse et la voiture qui allait trop s’encastre dans l’autre véhicule. La question était celle du lien de causalité : causalité est directe. Il est responsable pénalement. Mais l’avocat plaide que le lien de causalité directe = la présence du sanglier. La cour de cassation considère que la vitesse est une causalité directe.

Arrêt du 24 octobre 2000 Ch.Crim(le 1er arrêt rendu par la Cour de Cassation en application de la loi du 10 juillet 2000). Les faits étaient les suivants : un ouvrier avait été blessé suite à sa chute d’une échelle qui, contrairement à la réglementation en vigueur, n’avait pas de point d’ancrage. La cour d’appel avait considéré que le contremaître, qui n’avait pas ancré l’échelle dans un point d’ancrage, était pénalement responsable. En effet, sa faute d’imprudence simple était la cause directe de l’accident. Le chef de service et le directeur de l’usine, quant à eux, n’étaient pas pénalement responsable : leurs fautes d’imprudence simple (ie, ne pas avoir surveillé ou formé correctement le contremaître pour l’un, la mauvaise organisation pou l’autre) avaient simplement concouru au dommage, mais n’en étaient pas la cause directe. Le chef de service et le directeur de l’usine étant des personnes physiques, ils ne pouvaient donc pas être pénalement responsables. La Cour de Cassation, si elle a approuvé l’absence de responsabilité du directeur de l’usine, a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la faute d’imprudence simple du directeur (ie, la mauvaise organisation) n’était pas susceptible d’engager la responsabilité de la société, personne morale elle-aussi poursuivie dans cette affaire. En effet, les personnes morales sont toujours responsables des fautes commises par leurs représentants.

Remarques :

  • -La responsabilité des personnes morales pour imprudence simple est susceptible d’être engagée beaucoup plus fréquemment que celle des personnes physiques.
  • -La loi du 10 juillet 2000, qui, comme la loi du 13 mai 1996, a été promulguée dans un but de protection des élus locaux contre d’éventuelles poursuites pénales pour inobservation des règlements, a un effet pervers au sein de l’entreprise : c’est souvent « l’homme de paille », qui a le moins de pouvoir et de moyens, qui voit sa responsabilité pénale engagée.
  • -Il existe souvent une grande incertitude quant à la qualification du lien de causalité : s’agit-il d’un lient de causalité direct ou indirect ?

Synthèse :

IMPUDENCE SIMPLE

– Lien de causalité direct – Lien de causalité indirect

– Responsabilité civile – Responsabilité civile

– Responsabilité pénale -Responsabilité pénale des personnes morales

b)L’imprudence qualifiée

L’imprudence qualifiée peut prendre deux formes :

-L’imprudence délibérée quand l’imprudence résulte de la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

-L’imprudence est caractérisée quand la faute expose autrui à un risque d’une particulière gravité que la personne ne pouvait ignorer.

Les deux constituent une imprudence qualifiée.

L’imprudence qualifiée est toujours constitutive des infractions de blessures ou d’homicide involontaire, que le lien de causalité soit direct ou indirect. Elle est donc toujours sanctionnée pénalement. Il suffit que la faute ait concouru au dommage. De plus, contrairement à la faute d’impudence simple, le principe d’identité de la faute pénale et de la faute civile subsiste.

Voici trois exemples de faute d’imprudence caractérisée apportés par la jurisprudence :

Arrêt du 26 juin 2001, ch.crim , commentaire N°124:

Un patient avait subi un dommage causé par la mauvaise administration d’une substance dangereuse par une infirmière stagiaire.

L’infirmière titulaire, qui avait laissé l’infirmière stagiaire administrer cette substance en dehors de sa présence, était pénalement responsable, car, alors même qu’il existait un lien de causalité indirect entre son défaut de surveillance et le dommage, sa faute constituait une imprudence caractérisée. C’est sur ce dernier point que l’on a plaidé, il s’agit d’une telle faute car elle avait conscience du danger de laisser la stagiaire seule. L’appréciation d’une telle faute n’est pas toujours aisée.

A noter que l’infirmière stagiaire, si elle avait été poursuivie aurait certainement été jugée pénalement responsable, puisqu’il existait un lien de causalité direct entre sa faute d’imprudence simple et le dommage.

6 septembre 2001 CA Toulouse:

Suite à un accident sur une machine, un chef d’entreprise a vu sa responsabilité pénale engagée pour faute caractérisée : en effet, d’autres accidents avaient déjà eu lieu sur cette machine.

4 octobre 2001 CA Toulouse :

Piéton sur la chaussée renversé par conducteur. Le piéton descend sur la chaussée à cause de la présence d’un camion. L’accident se passe antre piéton et autre véhicule. Le camion est-il responsable pénalement ? S’agit-il d’une faute délibérée ou d’une faute caractérisée ? La Cour d’Appel de Toulouse considère qu’il n’y a pas d’imprudence délibérée car le texte qui interdit d’un tel stationnement parle d’un stationnement gênant et pas dangereux. Donc ce n’est pas une prescription de sécurité —> pas de faute délibérée. Il pourrait malgré tout rester une faute caractérisée. Arrêt du 4 février 2003, ch.crim :

Un mécanicien qui prête une voiture avec es pneus usagés savait qu’il exposait autrui à un risque sérieux = faute caractérisée donc elle engage la responsabilité pénale du garagiste car il s’agit d’une faute qualifiée. Mais cela n’enlève en rien la responsabilité du conducteur qui avait emprunté cette voiture.

En ce qui concerne les personnes morales, toute faute d’imprudence qui a concouru au dommage, que le lien de causalité soit direct ou non engage la responsabilité pénale.

Imprudence qualifiée —> Conséquences pénales propres à l’imprudence délibérée.

En outre, une des formes de « super imprudence », l’imprudence délibérée, produit des conséquences supplémentaires :

  • En cas d’accident dû à la violation volontaire d’un règlement imposant une obligation de sécurité, la peine encourue est aggravée :

-En cas d’homicide involontaire, la peine maximale encourue passe de 3 à 5 ans d’emprisonnement.

-En cas de blessure involontaire, la peine maximale encourue augmente d’un degré. En cas d’accident ayant entraîné une incapacité de travail de moins de 3 mois, il y a normalement simple contravention. Toutefois, en cas de manquement délibéré, il n’y a plus contravention mais délit entraînant une peine correctionnelle.

  • En l’absence d’accident :

L’imprudence délibérée est à elle seule constitutive d’une infraction, même en l’absence d’accident (= même en l’absence de dommage), dès lors qu’il y a mise en péril d’autrui. L’actuel Code pénal a créé l’infraction de mise en danger de la personne d’autrui : l’article 223-1 Code Pénal dispose que « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, est puni d’un an d’emprisonnement [maximum] et de 15 000 € d’amende [maximum] ». C’est un moyen de prévenir les accidents puisque la sanction intervient avant. Il faut un constat que la personne n’a pas respecté cette obligation de sécurité mais il faut qu’un texte l’ait prévu. Si l’imprudence n’a pas entraîné d’accident alors l’imprudence délibérée est constitutive d’une infraction dès lors qu’il y a mise en péril. Le texte est relativement restrictif car il faut la violation d’une obligation de sécurité constatée par les juges. Cette réglementation se trouve essentiellement dans les règles sur la circulation routière, la sécurité au travail. Elle peut être utilisée au delà de ce domaine.

CA Aix -en –Povence 22 novembre 1995, D.96, p.405.

Faits : Pilote d’un planeur atterrissage à une vitesse excessive, en diagonale, coupe des pistes. Pas d’accident.

Relaxé : « Il n’existait pas d’obligation de sécurité particulière imposée. ». Le code de l’aviation ne précise pas de limitation de vitesse ou de modalité de l’atterrissage.

Le texte ne dispose donc pas d’obligation de sécurité.

Jurisprudence de la CA de Paris, 2 arrêts contradictoires :

CA Paris, 17 déc. 1996, RDP 1997, Commentaire n°46

Faits : un individu poursuivi pour avoir laisser divaguer un Pitt Bull (pas d’accident). Le propriétaire est inquiété. Relaxé au motif que l’obligation de sécurité invoquée reposée sur un arrêté municipal d’interdiction général des Pitt Bull sur la commune.

CA : L’arrêté général était donc illégal. Rappel : les tribunaux répressifs apprécient la légalité des arrêtés réglementés si la solution pénale en dépend.

CA Paris, 9 nov. 1995, DP 1996, commentaire n°57.

Faits : les mêmes

CA : l’article R.662-2 du code pénal interdit de laisser divaguer un animal dangereux pour autrui. L’auteur en laissant divaguer son chien, a violé cette obligation de sécurité ? De ce fait il a mis autrui en danger.

Remarque : l’obligation de sécurité est, dans le 2ème arrêt fondée sur un texte.

Arrêts sur la circulation routière :

CA de Douais : 26 oct.1994, D.1995, p.172

Faits : Automobiliste dans une voiture en état de marche sur une autoroute sèche, rectiligne, de jour, circulation fluide. Arrêté alors qu’il roulait à 224 km/h. Passe immédiatement devant le tribunal correctionnel de Valencienne. Procédure de la comparution immédiate (ancien : flagrant délit). Délit de mise en danger d’autrui.

Sanction : peine en 1ère instance = peine alternative à l’emprisonnement —> confiscation du véhicule avec exécution immédiate.

Appel : infirme la première instance. Contravention pour excès de vitesse à4000 frs d’amende + Suspension de permis de 6 mois. 19 avril 2000, ch.crim, D.2000, p.631

Refus de condamner pour mise en danger car la CA n’a pas montré en quoi en dehors de l’excès de vitesse il y avait une mise ne danger. Les juges du fond ne peuvent pas condamner pour délit de mise en danger sur la seule constatation d’une vitesse très excessive, ils doivent caractériser un comportement particulier qui s’ajoute au comportement de vitesse.

Donc si les conditions de circulation sont normales, pas de condamnation sur ce fondement.

27 sept. 2000, Ch.crim, D.2000, p.275

Chauffeurs qui font une course automobile, chaussée en mauvais état, dans une cité où jouaient de nombreux enfants. Limite de 40 km/h largement dépassée. Mais pas d’accident.

Délit de mise en danger.

Arrêt 9 mars 1997, ch.crimD.99, IR.p.123

Faits : surfeurs, ski. Piste interdite par arrêté municipal. Corde de signalisation. Le conducteur du télésiège signale de surcroît l’interdit. Pas d’accident. Délit de mise en danger.