Règles de formes et délais : conditions de recevabilité du recours

Conditions tenant à la présentation du recours

On appelle « conditions de recevabilité » les conditions qui doivent être réunies pour que le juge puisse être saisi et trancher un litige « au fond ». Pour être recevable, le recours en contentieux administratif doit remplir certaines conditions. Par exemple, le requérant doit agir dans le délai de recours contentieux (B) et sa demande doit respecter un certain formalisme (A).

A) Règles de forme

— 1/ Le timbre. Le timbre fiscal qui doit être apposé par le requérant sur sa requête. En lui-même, ce timbre pose la question de la gratuité de la justice. Il a été exigé de façon générale pour l’ensemble des procédures. Mais loi du 30 décembre 1977 et le décret du 20 janvier 1978 a posé le principe de la gratuité des actes de justice. Le droit de timbre a donc disparu.

Puis la loi de finance pour 1994 (loi du 30 décembre 1993) a réintroduit un droit de timbre de 100 francs par requête enregistrée devant les juridictions administratives. Il y eut un débat sur l’opportunité de cette réintroduction, car les gains financiers sont très faibles (un timbre par requête, alors qu’avant 1977, un timbre par document). La loi fut soumise au Conseil constitutionnel qui valida la réintroduction du droit de timbre (décision du 29 décembre 1993).

Exceptions à cette obligation de timbre

— Instruction de l’administration des dépôts : ce droit de timbre n’est pas exigé devant les juridictions administratives spécialisées

— Ca ne vaut pas pour le contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière

— Ca ne vaut pas pour les procédures d’urgence (art L522-2 CJA)

— La jurisprudence a donné une interprétation peu contraignante de cette obligation. Ainsi, si la loi prévoit que le timbre est une condition de recevabilité de la requête, alors l’absence de timbre doit conduire à l’irrecevabilité. Mais le Conseil d’Etat, dans une série d’avis contentieux, a considéré que cette exigence était de celles qui peuvent faire l’objet d’une régularisation. Et la demande de régularisation est obligatoire pour le juge. C’est seulement si cette indication n’est pas suivie d’effet que la requête devient irrecevable.

— 2/ Langue française : Ordonnance de Villers-Cotterêts et loi du 25 juin 1992 qui a inscrit à l’article 2 de la Constitution : la langue française est la langue de la république.

— 3/ Identité de l’auteur du recours : Il faut connaître son nom, son adresse, le recours doit être signé. Si Personne Morale, il faut déposer les statuts.

— 4/ Conclusions et moyens :

Conclusions : c’est la demande faite au juge. Elles se retrouvent dans le dispositif du juge. Elles déterminent la nature du contentieux, la compétence du tribunal, fixent le cadre de la discussion. Ce cadre s’impose au juge, il ne peut pas statuer ultra petita. Le but des conclusions n’est autre que la clarté du procès.

Moyens : ce sont les arguments invoqués par le requérant à l’appui de ses conclusions. Dans la décision de justice, les moyens se retrouvent dans la motivation du juge. Autant les conclusions lient le débat judiciaire, autant les moyens peuvent consister en un « exposé sommaire ». Ils peuvent être complétés par un mémoire complémentaire par la suite : ce mémoire ne peut pas sortir des conclusions, mais peut développer l’argumentation.

— 5/ Documents annexes

Ils varient selon les contentieux.

On exige normalement la décision attaquée (de l’administration) : s’il s’agit d’une décision implicite, on doit alors produire la demande qui a fait courir le délai.

Il faut produire des copies du recours. Ces documents varient selon les contentieux

B) Délais

1) Principes

a) Le délai

Délai ordinaire. Est en principe de 2 mois : délai de droit commun. (Article R421-1 CJA).

Délais spéciaux :

Il y a des délais majorés : pour le contentieux des établissements classés pour la protection de l’environnement, le délai est de 4 ans pour les recours des tiers. Le délai est également majoré d’un mois pour les DOM-TOM (1+2), et de 2 mois (2+2) lorsque le gouvernement est à l’étranger.

Il y a des délais minorés, notamment concernant le contentieux électoral (5 jours pour les élections municipales et cantonales, 10 jours pour les élections régionales, 6 jours pour les élections universitaires) et concernant le contentieux des arrêtés de reconduite à la frontière (24 heures après la notification de l’arrêté)

b) Conditions pour que le délai court

Ces conditions ont été modifiées très sensiblement par le décret du 28 novembre 1983, complété par loi du 12 avril 2000.

Principe : les délais de recours contentieux ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. La sanction est que le délai ne court pas.

Mais cette disposition ne peut pas avoir une portée générale : elle ne concerne que les décisions administratives individuelles (puisqu’il faut notifier). Cela ne concerne ni les décisions réglementaires (dans le décret il y a écrit comment contester), ni celles mixtes, ni les décisions implicites.

2) Les recours soustraits à la condition de délai

a) Recours en matière de travaux publics

Ce contentieux est soustrait à la règle de la décision préalable, le délai n’existe pas donc le recours est soustrait à la condition de délai. C’est une exception importante car la matière de travaux publics est interprétée largement par le juge. Est ainsi inclus tous le contentieux des travaux publics, dont celui de la responsabilité des contrats, mais aussi celui de l’excès de pouvoir. (Arrêt du 15 février 1989 : le recours dans contentieux des travaux publics est soustraire à condition de délai).

b) Certains recours contre les décisions implicites de rejet

Lorsqu’il y a une décision implicite, cela suppose une initiative de l’administré pour obtenir une décision. Si l’administration ne répond pas, il peut saisir le juge ou préférer ne pas le saisir tout de suite.

— En matière de plein contentieux : la décision implicite de refus ne fait pas courir le délai mais donne à l’administré tous ses droits contentieux, il peut aller devant le juge, pour cela il n’a pas de délai.

— Décision implicite d’une autorité collégiale ou tenue de consulter un organisme collégial. L’article R421-3 du CJA a étendu cette solution dans l’hypothèse d’une décision implicite de refus prise par une autorité collégiale ou encore prise après avis obligatoire d’une autorité collégiale. Le temps doit s’inscrire dans l’instruction de la demande préalable et souvent cette instruction ne peut pas se faire dans le délai dans lequel se formera la décision implicite de rejet. On considère donc qu’elle est acquise mais ne fait pas courir le délai de recours. La vraisemblance et que l’on peut encore obtenir satisfaction quant la délibération aura eu lieue.

c) Les recours contre des décisions inexistantes

Il s’agit de décisions juridiquement inexistantes, c’est-à-dire atteinte d’un vice tellement grave qu’elles sont envoyées en dehors de l’existence juridique. Ça se rapproche de la voie de fait.

Le droit administratif sanctionne surtout l’incompétence, ex une autorité prend une décision à la place d’une autre. Cette illégalité est tellement grande que l’on ne veut pas enserrer le recours dans des conditions de délai donc ces actes obtenus par fraude, juridiquement inexistant peuvent être attaqués sans condition de délai.

3) Computation du délai

a) Un délai franc

Le premier jour du délai est le lendemain du jour du fait générateur et il expire le lendemain de la fin du délai. Le délai doit tenir entièrement entre ces deux extrémités. Si le dernier jour du délai n’est pas un jour ouvrable, le délai sera prolongé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.

b) Point de départ

La Solution générale repose sur l’idée que c’est la connaissance de l’acte qui déclenche le délai. Cette connaissance s’est évidemment trouvée renouvelée par l’apparition de nouveaux moyens d’information. Cette question n’est toujours pas réglée de façon générale.

Il y a des solutions particulières :

Pour les décrets réglementaires : la connaissance est réputée acquise du jour de la publication au Journal Officiel.

Le permis de construire, autorisation administrative est réputé être connu quand il a fait l’objet de l’affichage sur le chantier et l’affichage en mairie.

En l’absence de texte général, la jurisprudence exige une publicité suffisante et précise en disant que la publicité qui va faire courir le délai (rien à voir avec la légalité) doit être appropriée à son objet, à l’objet de l’acte. C’est à dire que l’on considère l’objet de l’acte et l’administration doit trouver un mode de publicité qui correspond à l’objet de l’acte. L’administration a bien évidemment intérêt à chercher la publicité la plus large.

Quand un texte existe et prévoit une modalité de publicité, le Conseil d’Etat considère que l’on peut procéder autrement que ce qui est prévu si cela assure une publicité équivalente. Quand un texte existe mais que le Conseil d’Etat ne le trouve pas suffisant, il peut imposer une publicité supplémentaire.

— Pour les actes réglementaires ou les non réglementaires le principe est celui d’une publication anonyme ou un affichage anonyme qui porte dans l’information générale l’existence de l’AA avec ses principales caractéristiques.

— Pour les décisions individuelles, le principe est celui de la notification, démarche personnalisée consistant à adresser en des formes adaptées la mesure concernant la personne comme les délais de recours ou le tribunal compétent pour en connaître. Cette notification n’est pas toujours exclusive de formalité de publicité pour faire courir le délai à l’égard des tiers. Cela signifie donc que le point de départ du délai de recours n’est pas le même pour tout intéressé.

— Pour les mesures non réglementaires, la publication complétée par des notifications en direction de ceux pour lesquels les mesures non réglementaires comportent des effets individuels.

Le déféré préfectoral dans la durée de 2 mois a pour point de départ la transmission de l’acte à la préfecture. Le tampon de la préfecture rend l’acte exécutoire mais cette transmission ne correspond pas toujours avec la date d’adoption de l’acte. Avant leur transmission il n’existe pas en tant qu’acte susceptible d’exécution. Cette solution est que les décisions sont souvent incomplètes, or le tampon ne peut à priori pas être refusé mais pourtant il faut contrôler.

Le Conseil d’Etat a jugé qu’une transmission complète marquait le point de départ du délai.

Quand il s’agit d’actes simples pas de problème mais pour le contentieux des contrats, c’est plus compliqué.

Théorie de la connaissance acquise : si l’intéressé de son propre mouvement montre qu’il avait connaissance de l’acte, c’est à partir de ce moment que court le délai, quand bien même cette connaissance soit acquise avant qu’ait eu lieu les modalités générales de publicité.

La jurisprudence a assez largement admis cette connaissance acquise, par exemple quand un membre d’une assemblée délibérante, par sa participation à l’assemblée, peut être légitiment considéré comme ayant connaissance de l’acte. Idem quand un requérant fait un recours administratif contre un acte même si les modalités de publicité sont accomplies ultérieurement.

Le décret du 28 novembre 1983, article 7 de la loi de 2000, dit que le délai du recours court à partir du moment de la connaissance de l’acte, mais, pour les décisions individuelles, il ne court qu’à partir de la notification, à condition que celle-ci comporte le délai de recours et le tribunal compétent. Dans ces hypothèses la théorie de la connaissance acquise n’est pas appliquée :

— La jurisprudence l’a d’abord refusée tant qu’il s’agissait de dispositions réglementaires.

— Puis, par arrêt du 13 mai 1998 elle a changé d’avis Mme Mauline présenté comme la mort de la théorie de la connaissance acquise mais c’est excessif. En effet, cet arrêt n’écarte la théorie que dans le champ du décret de 1982.

c) Prorogation

Attention, ce n’est pas la prolongation. La prorogation est l’interruption conservatrice de la totalité du délai, le délai recommence à courir en entier. La règle est qu’il y a plus de prorogation que de prolongation.

Quels sont les faits de prorogation du délai ?

— L‘exercice d’un recours administratif (hiérarchique ou gracieux) exercé dans le délai du recours contentieux. Attention ce ne proroge qu’une seule fois. « Recours administratif sur recours administratif ne vaut ».

La demande de déférer : la prorogation peut aussi, s’agissant du déféré préfectoral, être un recours administratif à l’envers, le préfet peut lorsqu’il envisage de déféré demander gracieusement à l’auteur de l’acte de réexaminé sa mesure.

La saisine d’une juridiction incompétente peut aussi proroger le délai si une juridiction judiciaire est saisie au lieu d’une administrative.

Cas particulier : l’arrêt BRASSEUR de 1991. Le Conseil d’Etat, par voie jurisprudentielle admis qu’un intéressé puisse faire une demande de déféré au préfet. Pour le demandeur du référé, son propre délai de recours contentieux est prorogé jusqu’à la réponse du préfet. Cette jurisprudence est saine, un peu retourné comme un piège car incite beaucoup d’administré à demander au préfet de déférer. Si le préfet donne suite, déféré commence mais si il se désisté, le demandeur n’a plus son droit contentieux… Il vaut mieux donc demander au préfet de déférer et effectuer en même temps son propre recours.

d) Expiration du délai

Question : quelles conséquences comportent l’expiration du délai ?

L’irrecevabilité du recours : on dira de façon approximative que la mesure est définitive. Cela ne veut pas dire que l’acte devient légal. Cet effet absolu de l’expiration du délai, seul le législateur peut en relever le requérant, c’est un relevé de forclusion et il est arrivé que le législateur le fasse (exemple de la loi du 31 juillet 1968. Elle relève de forclusion un certain nombre de requérant car les modalités n’avaient pas pu être faites efficacement. En 1974, grave grève de PTT donc loi de décembre 1974 relève aussi des forclusions).

L’irrecevabilité du recours contre les décisions confirmatives

En cas de décision confirmative d’une première décision, elle est d’emblée définitive si les recours contre la première sont expirés. Il n’y a pas de résurrection possible.

Il faut que se soient des décisions ayant le même objet mais surtout intervenant dans un contexte de fait et de droit identique à celui de la première décision. Droit pouvant être exercé à tous moment (Exemple : à propos des demandes d’information à l’administration).

L’expiration du délai marque la cristallisation du débat contentieux c’est à dire qu’il est fixé en ses éléments. Hypothèses où on respecte bien le délai de recours mais lors même qu’il est respecté, l’expiration du délai de recours à des effets sur le requérant, et conduit à la fermeture du débat juridictionnel.

L’irrecevabilité des conclusions et moyens nouveaux : une fois le délai expiré, on ne peut pas changer la nature du recours.

On ne peut pas présenter des conclusions nouvelles : on peut retrancher des parties de ses conclusions en revanche. Dans le plein contentieux, ce pose un problème sur les recours indemnitaires. En effet, en ces cas, en général, la décision administrative préalable invoquée par une demande chiffrée à l’administration. Dès lors, est-ce que ce chiffre lie ensuite au contentieux une fois les délais du recours contentieux expirés ? En principe oui, ce qui conduit à présenter dans la demande administrative des demandes ouvertes (sous réserve d’une expertise, d’une consolidation du préjudice…)

On ne peut pas présenter des moyens nouveaux : les termes de l’argumentation sont aussi cristallisés. Tout ceci émane de la jurisprudence.

En matière d’excès de pouvoir, arrêt du 20 février 1983 « Société intercopie ». Les moyens sont rangés en moyens de légalité externe (incompétence et vice de forme) et la légalité interne c’est à dire le détournement de pouvoir, la violation de la loi. Chacune de ces deux catégories de moyen constitue une cause de légalité distincte. Ce veut donc dire qu’un recours qui serait présenté en invoquant par ex que des griefs de légalité interne, les externes invoqués après la fin du recours, sont toujours recevables.

Arrêt du 16 mai 1924 « Jourda de Vaux » : pose des principes valables pour l’ensemble du plein contentieux. On peut en déduire que le passage de la responsabilité contractuelle à délictuelle constitue un moyen fondé sur une cause juridique différente (on ne peut donc pas changer une fois le délai exclu). La responsabilité délictuelle pour faute et sans faute sont aussi fondées sur des causes juridiques distinctes. La responsabilité pour faute est un moyen d’office pour le juge. Inversement, si on se place exclusivement sur le terrain de la responsabilité sans faute, le juge, ne le réintroduira pas dans le recours.

Le passage dans la discussion de la responsabilité contractuelle d’une demande d’indemnité plus résolution du contrat, cause nouvelle, on ne peut pas le faire si le délai est expiré.

L’irrecevabilité de l’exception d’illégalité des décisions non réglementaires

L’expiration du délai du recours contentieux a pour conséquence l’irrecevabilité de l’exception d’illégalité contre les actes non réglementaires.

— Le recours en annulation est enfermé dans des délais.

— L’exception d’illégalité est en principe permanente. En effet, l’exception d’illégalité n’aboutit pas à la disparition de l’acte mais à sa non application. Ce principe peut être considéré comme un élément rattaché à la garantie des droits de 1789. (En 1994, petite loi sur l’urbanisme, considérant le nombre de contentieux en cette matière et les formes requises, le législateur a considéré que les griefs de légalité externe contre les POS étaient limités dans le temps. Le conseil constitutionnel n’a pas censuré la loi dans sa décision du 21 janvier 1994 : il estime que, compte tenu du caractère bien délimité de l’exception, il n’y a pas atteinte à un droit substantiel.

Pour les actes individuels : le principe est que pour les actes individuels, le délai pour soulever l’exception d’illégalité est le même que celui qui existe en matière d’excès de pouvoir. L’expiration du délai de recours marque aussi l’impossibilité d’invoquer l’exception d’illégalité. De ce point de vue, l’expiration du délai est aussi irrecevabilité que l’exception d’illégalité invoquée dans un autre contentieux. (Il existe deux exceptions à ce principe :

o L’exception d’illégalité pourra être invoqué à l’appuie d’une demande indemnitaire sans condition de délai si elle vise à réparer le préjudice que la décision a causé).

o Concernant les opérations complexes (opération qui font se succéder des actes individuels). Le lien qui s’inscrit entre eux font que l’expiration du délai pour contester l’un n’interdit pas de contester l’autre. (Exemple en matière d’expropriation : la déclaration d’Utilité Publique est un acte non réglementaire ; l’acte de cessibilité un acte individuel. On peut invoquer par voie d’exception l’illégalité de la déclaration d’Utilité Publique même si c’est plus dans le délai à l’appuie de la contestation l’acte de cessibilité.

Quand l’exception d’illégalité est sur renvoie du juge judiciaire, il y aura donc renvoie au juge administratif qui va être amené à se prononcer sur une exception d’illégalité portant sur un acte individuel alors que le délai pour contestation par voie d’action sera expiré. 27 septembre 1985 « Société USINORD ».

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